Emma : Parcours et réflexions sur une transition de genre

Ton parcours en quelques mots

Peux-tu nous raconter ce qui t’a menée à entreprendre ta transition ? Y a-t-il eu un moment où tu t’es dit : « Ok, c’est maintenant, je me lance ! » ?

Le jour où je me suis décidé à entamer une transition, je m’en souviens parfaitement, c’était un samedi en fin d’après-midi. Je rentrais d’une sortie dans Paris « en femme » qui s’était bien passée mais au moment de me démaquiller, de reprendre mon apparence officielle d’homme, c’est venu comme un cri : j’en ai marre de me conformer à ce statut officiel d’homme qui m’étouffe, j’ai le droit de vivre comme je l’entends, de suivre mon ressenti : ma vie et mon corps m’appartiennent !

Bien sûr, ce cri est l’aboutissement d’une très longue réflexion et d’une lassitude de ces moments de travestissements qui, à la longue, m’apportaient plus de frustration que de bien être.

Le regard de tes proches

Comment ta famille et tes amis ont réagi en découvrant ta décision de faire une transition  ? As tu été soutenu ? 

Le coming-out a été, pour moi, la phase la plus difficile à vivre. Quand on annonce ce type de changement c’est un véritable tsunami pour la famille et les amis.

Ma femme m’a beaucoup aidé et soutenu. J’ai adapté mon discours à chaque personne à qui je m’adressais et dans l’ensemble ça s’est très bien passé, bien mieux en tout cas que ce que j’imaginais.

Bien sûr, il y a eu des rejets au début mais il faut faire en sorte de ne jamais rompre le dialogue. J’ai fait tout ce que je pouvais pour les rassurer, pour dédramatiser au maximum ce changement.

Évolution de tes relations sociales

Au  début de ta transition, pendant et maintenant ( si elle est finie) , comment ont évolué tes relations amicales et sociales ? Y a-t-il eu des surprises, bonnes ou mauvaises ? Un tri naturel s’est-il fait autour de toi ?

Ma transition est désormais finie même si il reste une mutation plus profonde qui continue à s’opérer. Le début fut très difficile : on m’a traité d’égoïste, on m’a dit que je n’en faisais qu’à ma tête, que c’était une trahison et je vous en passe !

Alors oui bien sûr j’ai perdu le contact avec en particulier une amie que j’avais pourtant beaucoup aidé et qui s’est vexé profondément que je ne lui ai pas dit la vérité avant… quand l’ego et le manque d’empathie s’en mêlent c’est très compliqué.

La vie est faite aussi de ce genre de déception mais c’est pratiquement le seul cas sérieux que j’ai eu à vivre.

J’ai eu beaucoup de bonnes surprises et notamment de la part de personnes âgées. Et puis, il y a les taiseux, ceux qui ne disent rien, qui n’ont pas osé me contrer…

Ton expérience dans le milieu professionnel

Comment ton environnement de travail a-t-il accueilli ta transition ?

Pour le travail, il faut que j’explique qu’au moment de ma transition, j’étais le patron de ma boite et le propriétaire partiel. Et comme j’évoluais dans un milieu que je ressentais plutôt hostile à ce type de situation, j’ai compris que, pour sauvegarder mes intérêts, il valait mieux que je parte. J’ai gardé le secret sur les vraies raisons de mon départ et j’ai négocié la vente de mes parts au mieux et j’ai quitté la boite après 36 ans de présence à l’aube de l’année 2020.

Affirmation de soi et communication

As-tu rencontré des difficultés pour parler de ta transition aux autres ? Y a-t-il des astuces à partager qui t’ont aidé ?

Oui j’ai rencontré des difficultés à parler de ma transition aux personnes qui ne connaissent pas le sujet et en particulier à mes enfants et à mes parents. Je ne voulais pas rajouter une charge inutile pour eux et après tout on n’est pas obligé de raconter tout à tout le monde.

Mais heureusement sur les deux premières années de ma transition, avant le basculement définitif, j’ai rencontré beaucoup de trans qui m’ont écouté et rassuré.

Dans le fond, le seul conseil que je pourrais donner à ce sujet : ne restez pas isolé et allez vers les personnes qui vivent ou ont vécu ce type de changement radical.

Moments de solitude et résilience

A-t-il eu des périodes où tu t’es sentie seule ou incomprise ? Si oui, qu’est-ce qui t’a aidée à garder le cap et à retrouver de la force ? 

Parfois j’ai eu des moments où je ressentais un isolement fort, des commentaires que je trouvais injustes mais finalement c’est le lot de toutes les vies : nous devons affronter les épreuves dans une relative solitude.

L’hormonothérapie et ses effets

Si tu as suivi une hormonothérapie, comment l’as-tu vécue ? Quels effets physiques et émotionnels t’ont le plus marqué ?

L’hormonothérapie c’est un peu comme une potion magique, le jour où on démarre c’est un jour marquant. Ses effets se produisent sur le long terme et très progressivement, hormis pour les émotions et en particulier dans les six premiers mois. Bienvenue les mouchoirs partout dans la maison et souvent pour pas grand chose !

Les effets physiques ne sont pas très rapides, à part la prise de poids ! Mais même si on ne se voit pas changer, le changement s’opère bien : peau plus douce, évolution du visage et bien sûr la poitrine qui fait son apparition.

Transformations physiques et bien-être

Quelles transformations physiques (SI :hormonales, chirurgicales ou esthétiques) ont été importantes pour toi ? Comment ces changements ont-ils influencé ton bien-être et ton rapport à toi-même ?

Avant le  traitement hormonal indispensable, j’ai préparé le terrain bien avant : épilations totales et définitives, greffes de cheveux et travail sur la voix avec une orthophoniste.

En 2020, j’ai pu bénéficier d’une opération vitale pour moi : la vaginoplastie. Je ne pouvais pas concevoir d’être une femme avec un sexe masculin (ce n’est que ma façon personnelle d’envisager cette nouvelle vie, je ne l’impose à personne !)

Et deux ans après j’ai procédé à un lifting du bas du visage pour le rendre plus féminin mais cette opération n’avait rien de très invasif : pas de mâchoires cassées ou autres supplices divers… Et j’ai profité de ce moment chirurgical pour bénéficier d’une augmentation mammaire.

En dehors du regard des autres sur moi, ce qui m’importait le plus c’était d’être en accord avec moi même, de me sentir bien dans ma peau, de gagner en confiance pour me sortir du syndrome de l’imposteur, de ne plus me sentir illégitime en tant que femme.

Soutien et ressources précieuses

Y a-t-il des livres, des groupes, des assos ou des pros qui t’ont été d’une aide précieuse ? Si oui quels sont ils ?

Les associations, je n’ai pas senti le besoin ni l’envie de faire appel à leur soutien. Par contre les professionnels au service de de la transidentité, oui j’ai fait appel à leurs compétences : psychothérapeute, orthophoniste, endocrinologue et chirurgiens.

Et en complément, surtout au début de la transition j’ai lu beaucoup de livres, de témoignages ou vu des films et des documentaires qui m’ont aidé à m’accepter.

Ton regard sur l’avenir

Comment imagines-tu la suite de ton parcours après ta transition ? Quelles sont tes aspirations pour ton bien-être, tes relations, tes projets ?

Aujourd’hui je réalise enfin mon dernier rêve : être photographe artistique spécialisée dans le portrait. 

Un message pour celles et ceux qui hésitent encore

Si tu pouvais dire quelque chose à une personne qui se pose des questions sur sa transition, ce serait quoi ? (Un conseil, une phrase inspirante, une punchline, on prend tout !)

Pose toi une seule question : « qu’est ce qui te rendrait profondément, viscéralement heureux ou plutôt heureuse ? Ta vie t’appartient et ton corps également et si tu décides d’affronter cette épreuve qu’est une transition : sois forte mentalement, ça secoue mais le bonheur d’être soi ne s’obtient pas sans sacrifice ».

Merci de m’avoir lu …«